Dans un entretien, Jean-Michel Boussit, directeur du pôle animal d’Axéréal, n’élude aucune question : orientations stratégiques, restructurations, compétitivité, etc.
La Revue de l’Alimentation Animale : Axéréal, c’est 3 200 salariés pour un chiffre d’affaires de 3,1 milliards d’euros. Par rapport à ces grandes masses, que représente le pôle animal ?
Jean-Michel Boussit : Le pôle animal d’Axéréal, c’est 380 salariés pour un chiffre d’affaires de 255 millions d’euros. Nous exerçons trois métiers : la fabrication d’aliments, avec 585 000 tonnes d’aliments commercialisées plus 60 000 tonnes de matières premières. Notre deuxième métier, c’est l’organisation de productions avec 46 000 tonnes de volailles vivantes qui sont commercialisées et 114 millions d’œufs produits et commercialisés auprès de centres de conditionnement. Notre dernier métier est celui d’accouveur, que nous exerçons depuis 2014 après avoir repris un couvoir auvergnat qui produit 300 000 poussins par semaine.

Jean-Michel Boussit : « Un message pas forcément entendable par tout le monde. »
(Crédit photo : Jérôme Mondière)
RAA : Comment votre production est-elle organisée ?
J.-M. B. : Elle s’articule autour de dix sites qui partent du sud de la région parisienne : Bonneval (Eure-et-Loir), Blois (Loir-et-Cher), Saint-Denis-de-l’Hôtel (Loiret), Ladon (Loiret) et Pouligny-Notre-Dame (Indre), ce dernier étant le plus à l’ouest. À l’est, nous avons Feurs (Loire), à côté de Saint-Étienne. Trois sites sont implantés dans l’Allier. Enfin, nous avons un site en Lozère.
RAA : À quelle logique cette présence territoriale répond-elle ?
J.-M. B. : Les coopératives qui ont donné naissance à Axéréal avaient chacune développé une activité nutrition animale par croissances externe et interne. Leur rapprochement a permis de constituer le pôle animal d’Axéréal, pôle qui a continué à se développer avec l’acquisition de l’usine Evialis de Chalette-sur-Loing (Loiret), des Établissement Morize à Saran (Loiret) et, dernièrement, de la société d’accouvage Auvergne Poussins à Saint-Germain-de-Salles (Allier). Produire de l’aliment suppose une proximité avec les élevages afin de limiter les coûts de logistique, pratiquement équivalents à nos coûts de production, d’où ce maillage du territoire.
RAA : Qu’est-ce que ces dix usines ont en commun ?
J.-M. B. : Nous centralisons les achats de matières premières afin d’optimiser nos positions. Nous centralisons les investissements ainsi que de la politique qualité et sécurité, autrement dit tout ce qui est QHSE (NDLR : qualité, hygiène, sécurité et environnement). Tous nos sites sont certifiés Guide des bonnes pratiques en aliments composés. Notre dispositif industriel compte des sites polyvalents multi-espèces et des sites dédiés à certaines productions : deux sont dédiés au bio et un autre à la production d’aliments volailles. La logistique est mise en commun, ainsi nous pouvons approvisionner un client à partir du site le plus proche ou le mieux à même de fabriquer l’aliment commandé.
RAA : Où vous approvisionnez-vous en matières premières ?
J.-M. B. : À 70 ou 80 %, nos approvisionnements sont d’origine française. Nous avons un accord préférentiel mais non-obligatoire avec Axéréal selon un système de first refusal (NDLR : premier refus) : à même niveau de marché, nous achetons de préférence à la coopérative et, au premier refus, nous achetons ailleurs. Notre but est d’avoir des matières premières de qualité. Nous sommes membres d’Oqualim, association nationale pour la sécurité sanitaire des aliments du bétail. Tous nos plans de contrôles sont mis en commun au niveau de cette entité. Ensuite, intervient la performance économique : le first refusal nous permet d’être toujours au prix du marché. Une cellule s’occupe des achats à terme et du positionnement sur les marchés financiers. Vous pouvez dès aujourd’hui acheter de l’octobre 2015, voire même du janvier 2016. Les céréales sont essentiellement françaises. Même chose pour les protéines, notamment le colza. Mais ces dernières viennent aussi du Brésil, notamment le soja. Quant aux vitamines et aux minéraux, ils sont automatiquement produits à l’étranger puisqu’il n’y a plus de production nationale, voire européenne. Sur l’ensemble des usines, nous réceptionnons trois catégories de matières premières : bio sur deux sites dédiés, sans OGM ou avec OGM. Au total, nous gérons une soixantaine de cahiers des charges.
RAA : Quels sont vos débouchés ?
J.-M. B. : Nous travaillons sur trois types de marchés. Premièrement, la vente directe auprès des éleveurs qui se trouvent sur notre grande zone. Nous commercialisons également via le réseau de la coopérative ou des distributeurs. Ces derniers sont nos représentants sur des territoires où nous ne sommes pas physiquement présents. Pour le vif ou l’œuf, nous avons pour clients des industriels de l’abattage ou des centres de conditionnement. Enfin, au milieu, j’allais oublier les organisations de producteurs. Nous sommes un peu le chaînon entre la partie agricole et la partie industrielle : nous faisons le lien entre l’éleveur et l’abattoir, entre l’éleveur et le centre de conditionnement, entre l’éleveur et l’OP, avec laquelle nous commerçons directement.
RAA : Là, nous parlons de débouchés locaux ou nationaux. Y a-t-il des exportations et dans quelle proportion ?
J.-M. B. : Nous n’exportons pas. Nous sommes positionnés sur un grand marché régional qui couvre la région Centre Ouest.
RAA : Pour quelles raisons n’exportez-vous pas ?
J.-M. B. : En matière d’alimentation du bétail, on ne peut pas exporter car le produit ne voyage pas : les coûts de transport sont trop importants par rapport au produit lui-même. D’autre part, nous ne sommes pas implantés à l’international pour cette activité du groupe.
RAA : Pourquoi n’avez-vous pas franchi le pas ?
J.-M. B. : Cela demande une autre culture et une autre approche. Et des compétences et des ressources en interne dont nous ne disposons pas forcément pour nous implanter sur de nouveaux marchés.
RAA : Dans quelle mesure les difficultés rencontrées par l’élevage se répercutent-elles sur votre activité ?
J.-M. B. : Les élevages ont des difficultés en raison de coûts de production élevés et de cours de la viande ou du lait trop bas. Il suffit de regarder le prix du cadran en porc pour se poser la question de la pérennité de l’élevage porcin français. En bovin lait, les prix ont chuté de 60 € les 1 000 litres. Conséquence : même nos bons clients, qui avaient des structures qui s’étaient agrandies pour anticiper la libération des quotas, connaissent des soucis de trésorerie. En bovins allaitants, les broutards quittent très tôt l’exploitation et, par conséquent, ne s’y engraissent pas. Tout cela devient grave car c’est une remise en cause de nos modèles d’élevage. Des exploitations ferment, les gens partent en retraite et les structures ne sont pas reprises. Aujourd’hui, c’est très compliqué d’installer un éleveur car tout un savoir-faire se perd. Et qui ne dit pas d’éleveur, ne dit pas d’animaux et donc pas de consommation d’aliments : nous sommes complètement impactés par la situation, liée à une baisse de la rentabilité de la profession d’éleveur. Or celle-ci n’était déjà pas très élevée… La plus-value qui se fait sur les produits animaux ne reste ni chez les éleveurs ni chez les industriels de la transformation. Elle va dans la grande distribution…
RAA : Comment cela se traduit-il sur votre chiffre d’affaires : avez-vous constaté une baisse ?
J.-M. B. : Pas une baisse du chiffre d’affaires car celui-ci fluctue selon l’évolution du cours des matières premières mais une baisse du tonnage : sur la France, en dix ans, nous avons perdu 1 500 000 tonnes d’aliments. Notre pays, qui était premier fabricant européen, est passé au deuxième rang, derrière l’Allemagne. Le pôle animal d’Axéréal a réussi à maintenir son tonnage grâce à de la croissance externe. Le souci réside dans la pérennité des outils de transformation. Sur la région Centre, on a perdu des centres de conditionnement en œufs. On a également perdu des abattoirs. Cela est préoccupant pour l’avenir de l’élevage dans cette région.
RAA : Récemment, la Chambre d’agriculture du Loiret a présenté un plan de soutien à la filière avicole prévoyant la création de 100 000 m2 de bâtiments au cours des cinq prochaines années : que pensez-vous d’une telle démarche ?
J.-M. B. : Nous sommes tout à fait favorables au soutien à l’aviculture. La seule question concerne la pérennité de l’outil de Blancafort (Cher). Il est important que celui-ci reste. On attend la décision de LDC. Si on veut relancer l’aviculture, il faut des éleveurs. Or cela n’est pas si simple car il y a pas mal de contraintes et une faible rentabilité du travail fourni : les productions végétales sont notre premier concurrent.
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G. Hardy
Retrouvez l'intégralité de l'article dans la RAA 688 juillet-août 2015
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